Il est défendu d'abîmer les âme

Richard Aeschlimann

Il est défendu d'abîmer les âmes

Souvent, depuis sa parution, j'ai repris en main le livre de photographies de Jean-Marc Pavot En Orient. Non pas comme lorsque l'on égrène un chapelet, ni même comme on déguste un album de photos de famille, mais bien telle une pensée obsédante. Une de ces idées fixes qui vous attrape par la rétine et qui inlassablement vous titille le cervelet. Il est temps de dire que je ne suis pas photographe et que tout ce qui relève de la technique m'échappe totalement. C'est donc, et je le crois, la nature des images qui m'impressionne; ou plutôt le sens en cascade qui s'en dégage et qui m'interpelle, j'y vois un cheminement spirituel, pas seulement par les sujets, mais dans la succession et la continuité de la lumière, de la rigueur, de l'ordre et de la sérénité qui rayonnent à chaque image. Autrement dit, ce n'est pas ce que je vois sur les photographies qui se révèle, mais bien le regard du photographe qui a «vu» ces sept femmes à la Mosquée de l'Euràm à Ispahan; l'état d'esprit de celui qui s'est avancé dans le corps du Désert de Gobi, l'humeur enfin de cet homme qui s'incarne tout entier par symbiose dans ses clichés en se fondant avec les sujets, et ce malgré lui. Et ceci encore, qui m'apparaît en tournant les pages de l'album, une photo après l'autre: bien plus que la beauté désirée, plus forte que la ferveur de vie dans les yeux des humains, plus inéluctable que la légèreté des nuages dans le vaste ciel, s'inscrit en nous la nature métaphysique de l'artiste. Son rapport à la prière, au Divin, à ses doutes aussi et à ses certitudes tout autant. C'est que jour après jour, sujet après sujet, la photographie va faire naître une personnalité renforcée, apaisée. Bien sûr que je sais, pour l'avoir empruntée, qu'il existe une autre route. Une voie plus violente, moins convenable. Un cheminement fait de pulsions, où il convient de se perdre dans l'espoir de se trouver, de s'accepter. Dans ce parcours solitaire, le rare contrôle de nos brusques avancées ne concerne que l'épuisement qui nous arrête. Une route qui ne croise ni l'esthétisme. ni le silence, ni le conforme et encore moins le fréquentable. Une roule où la révolte incarne plus sûrement un esprit de justice que la sagesse des procédures ne saurait le faire.

Dans ce cheminement à la lois aride et obscur, plus proche de l'invective et de la chute que de la chaleur du regard bienveillant d'un moine bouddhiste, la cinquantaine de photographies proposées par Jean-Marc Pavot nous incitent à mieux comprendre que, quel que soit le chemin emprunté, notre but d'épanouissement est identique dans sa finalité. Irrité par le vacarme assourdissant du monde qui aujourd'hui accompagne nos vies, ces photographies sont une aire de repos, une tranquille plongée dans la géographie de continents et d'univers que pour ma part jamais, probablement, je ne traverserai de mon vivant.

Mais le vrai cadeau, c'est de nous prouver que tous les destins, que ce soit dans la lumière ou dans le ruisseau, s'accomplissent sous forme de prière.

Richard Aeschlimann
Pharts, 1.12.2003

Infolettre

Actualité

Contact

Jean-Marc Payot